Bienvenue dans cette onzième édition d’Investi! Aujourd’hui, nous continuons la série sur les bases de l’analyse d’une compagnie. Au programme, nous nous concentrerons sur la rentabilité de l’entreprise.
Pour rappel, voici ce que nous avons déjà abordé (ou allons aborder) au cours des épisodes de cette série:
- 1) Comment lire un rapport annuel
- 2) La croissance de la société
- 3) La rentabilité de l’entreprise
- 4) La solidité financière de la compagnie
C’est parti.
Importance de la rentabilité
Mais avant de plonger dans les détails, faisons un rappel sur l’importance de la rentabilité d’une compagnie.
Comme je le dis tout le temps, sur le long terme, le prix d’une action suit la trajectoire de la croissance des profits par action de l’entreprise. D’où vient cette croissance? La plupart du temps, elle provient des profits que la société va réinvestir dans l’activité du business. Plus celui-ci est rentable, plus le capital réinvesti va générer des profits supplémentaires et plus la croissance sera élevée.
Cash in, Cash out
En fait, cela va encore plus loin. En tant qu’actionnaires, ce qui nous intéresse dans une entreprise, c’est combien de capital il faut injecter pour faire tourner le business et combien de capital nous pouvons en sortir chaque année sans mettre en danger la santé de l’entreprise. Comme nous l’avions vu dans l’édition sur la qualité des sociétés, on peut trier les entreprises en trois grosses catégories:
- Les entreprises extraordinaires. Celles-ci ont une rentabilité très élevée de leur capital. Cette grosse rentabilité leur permet de ne réinvestir que très peu de capital pour générer de la croissance. Elles peuvent donc reverser la plupart de leurs profits actuels aux actionnaires (ou dans d’autres initiatives).
Il y a un « double effet Kiss Kool ». Non seulement le business croît de lui-même, mais les propriétaires peuvent en sortir beaucoup de cash chaque année. - Les entreprises « normales » – c’est le lot de la majorité des sociétés. Pour celles-ci, il faut faire un choix: si on veut beaucoup de croissance, il va falloir réinvestir beaucoup de capital. Prendre cette route signifie un dividende (ou rachat d’action) réduit pour les actionnaires.
- Les entreprises horribles, qui demandent de plus en plus de capital pour générer de moins en moins de profits. Le rendement du capital investi part d’une situation initiale pas terrible et devient de pire en pire au fil des années.
La rentabilité, un facteur déterminant
Non seulement la rentabilité de la compagnie va influer sur la croissance de ses bénéfices ( et donc sur le prix de l’action sur le long terme). Il va aussi déterminer la quantité de cash que les actionnaires pourront en sortir chaque année (dividendes et rachat d’action). Savoir mesurer la rentabilité d’une entreprise est donc absolument crucial!
Aujourd’hui, nous allons donc passer en revue les outils pour évaluer le rendement du capital d’un business. Nous aborderons le rendement des actifs (ROA) et le rendement des capitaux propres (ROE). Nous finirons par une brève discussion sur une mesure plus sophistiquée de la rentabilité appelée rendement du capital investi (ROIC).
Rendement des actif (Return on Assets, ROA)
Tu peux considérer le ROA comme une mesure de l’efficacité de la compagnie. Il t’indique à quel point celle-ci est apte à transformer ses actifs en profits.
Le ROA est divisé en deux composantes et tu connais déjà la première. Il s’agit simplement de la marge nette, c’est-à-dire du résultat net divisé par le chiffre d’affaires, qui nous indique quelle part de chaque dollar de chiffre d’affaires une entreprise conserve comme bénéfices après avoir payé tous les coûts de l’activité. La deuxième composante est la rotation des actifs, c’est-à-dire les ventes divisées par les actifs, qui nous indique approximativement l’efficacité d’une entreprise à générer des ventes à partir de chaque dollar d’actifs.
$$ Marge \:Nette = \frac{Resultat \: Net}{Chiffre \: d’affaire} $$
$$ Rotation \:des \: Actifs = \frac{Chiffre \: d’affaire}{Actifs} $$
Et:
$$ Rendement \: des \: Actifs \:(ROA) = Marge \: Nette * Rotation \:des \: Actifs $$
Rentabilité des actifs : Costco vs. Walmart
Les entreprises dont le ROA est élevé sont plus aptes à transformer leurs actifs en bénéfices. Comparons par exemple deux distributeurs comme Costco et Walmart.
En 2021, le ROA de Walmart a été de 6,9%, alors que Costco a obtenu de meilleurs résultats avec un ROA de 8,5%.
Les marges bénéficiaires plus élevées – 2,6 % pour Costco contre 2,4 % pour Walmart – font partie du tableau, mais la rotation plus élevée des actifs est un facteur de différenciation plus important entre les deux.
Rentabilité en 2021 | Costco | Walmart |
---|---|---|
Marge Nette | 2.6% | 2.4% |
Rotation des actifs | 3.3x | 2.8x |
Rendement des actifs | 8.5% | 6.9% |
Chaque dollar investi par Walmart dans des actifs a généré environ 2,8 dollars de ventes. (Ces actifs sont principalement des biens immobiliers et des stocks de marchandises, les deux postes les plus importants pour la plupart des distributeurs). Le même dollar investi par Costco a généré 3,3 dollars de ventes. Il est clair que Costco gère un magasin plus efficace que Walmart et est plus apte à transformer ses actifs en bénéfices.
Les leviers du ROA
Le ROA nous aide à comprendre qu’il existe deux voies pour atteindre une excellente rentabilité opérationnelle. Nous pouvons facturer des prix élevés pour nos produits (marges élevées) ou nous pouvons avoir une rotation élevée de nos actifs.
Souvent, tu verras des entreprises dont les marges bénéficiaires sont plus faibles, comme les épiceries et les détaillants à prix réduits, qui mettront l’accent sur une rotation élevée des actifs afin d’obtenir un ROA solide. Pour toute entreprise qui ne peut pas faire facturer ses produits très cher, une gestion rigoureuse des stocks est essentielle car elle permet de réduire la quantité de capital immobilisé dans les actifs, ce qui contribue à augmenter le rendement des actifs.
D’un autre côté, les entreprises qui peuvent valoriser leurs produits de manière importante – Louis Vuitton, par exemple – peuvent se permettre d’avoir plus de capital immobilisé dans leurs actifs, car elles compensent la faible rotation des actifs par des marges bénéficiaires élevées.
L’utilisation du ROA suffirait si toutes les entreprises étaient de gros tas d’actifs, mais de nombreuses entreprises sont au moins partiellement financées par des dettes, ce qui confère à leurs rendements une composante de levier que nous devons prendre en compte. Notre prochaine mesure du rendement du capital, le rendement des capitaux propres, nous permet de le faire.
Rendement des capitaux propres (Return on Equity, ROE)
Le rendement des fonds propres est un excellent indicateur global de la rentabilité d’une entreprise. Il mesure l’efficacité avec laquelle une entreprise utilise les fonds propres – en d’autres termes, il mesure la capacité de l’entreprise à obtenir un rendement décent de l’argent des actionnaires. Penses-y comme une mesure des bénéfices par dollar de capital de l’actionnaire.
Pour calculer le ROE, il faut multiplier le ROA par le ratio de levier financier de l’entreprise :
$$ Levier \: Financier = \frac{Actifs}{Fonds \: Propres}$$
$$ Rendement \: des \:Fonds \:Propres = Levier \:Financier * Rendement \: des \: Actifs $$
Parce que le rendement des actifs est égal à la marge nette multipliée par la rotation des actifs, le ROE dans toute sa splendeur est égal à :
$$ Rendement \: des \:Fonds \:Propres = Levier \:Financier * Marge \:Nette * Rotation \: des \: Actifs $$
Tu remarqueras que nous avons introduit une nouvelle mesure – le levier financier, qui est essentiellement une mesure de l’endettement d’une entreprise par rapport aux capitaux propres.
Contrairement à la marge nette et à la rotation des actifs – pour lesquelles des ratios plus élevés sont presque sans équivoque meilleurs – l’effet de levier financier est quelque chose que tu dois surveiller attentivement. Comme pour tout type de dette, un montant judicieux peut augmenter les rendements, mais un montant trop élevé peut conduire au désastre.
Regarde le type d’activité de l’entreprise. Si elle est assez stable, une entreprise peut probablement contracter des dettes importantes sans trop de risques, car il n’y a qu’un faible risque que les affaires s’effondrent et que la société soit prise de court lorsque les détenteurs d’obligations exigent le paiement de leurs intérêts. D’un autre côté, il faut se méfier d’un ratio de levier financier élevé si l’activité de l’entreprise est cyclique ou volatile. Les paiements d’intérêts étant fixes, l’entreprise doit les payer, que les affaires soient bonnes ou mauvaises.
Trois façons d’augmenter la rentabilité des fonds propres
Par conséquent, nous disposons de trois leviers susceptibles d’accroître le ROE : les marges nettes, la rotation des actifs et le levier financier.
Par exemple, une entreprise peut avoir des marges médiocres et des niveaux modestes de levier financier, mais elle peut faire un excellent travail avec la rotation des actifs (par exemple, un distributeur à prix réduit bien géré comme Costco). Les entreprises dont la rotation des actifs est élevée sont extrêmement efficaces pour extraire plus de dollars de revenus pour chaque dollar investi dans les actifs.
Une entreprise peut également exceller dans l’art de convaincre les clients de payer ses produits. La rotation des actifs peut être moyenne et l’entreprise peut ne pas avoir beaucoup d’effet de levier, mais avoir des marges bénéficiaires importantes (par exemple, une entreprise de produits de luxe comme LVMH).
Enfin, une entreprise peut faire passer son rendement des capitaux propres à un niveau respectable en recourant à un effet de levier important (par exemple, des entreprises de services énergétiques comme EDF).
Ordre de grandeur du ROE
Bien qu’il soit difficile de généraliser, je vais proposer quelques repères approximatifs pour évaluer les ROE des entreprises. D’une manière générale, toute entreprise non financière capable de générer régulièrement des ROE supérieurs à 12 % sans avoir recours à un effet de levier excessif mérite au moins d’être étudiée. Et si tu trouves une entreprise qui a le potentiel de générer des ROE réguliers supérieurs à 20 %, il y a de fortes chances que tu soies sur la bonne voie.
Deux mises en garde s’imposent lorsque tu utilises le ROE pour évaluer des entreprises. Tout d’abord, les banques ont des ratios de levier financier énormes. Ne sois donc pas effrayé par un ratio de levier qui semble élevé par rapport à un établissement non bancaire. En outre, comme l’effet de levier des banques est toujours très élevé, tu dois placer la barre plus haut pour les entreprises financières – recherche des ROE constants supérieurs à 15 % environ.
La deuxième mise en garde concerne les entreprises dont le rendement des capitaux propres semble trop beau pour être vrai. C’est généralement le cas. Les ROE supérieurs à 40 % sont à prendre avec des pincettes, car ils ont probablement été déformés par la structure financière de l’entreprise. Les entreprises qui ont été récemment séparées de leurs sociétés mères, les entreprises qui ont racheté un grand nombre de leurs actions et les entreprises qui ont pris des charges massives ont souvent des ROE très faussés parce que leur base de capitaux propres est déprimée. Si tu vois un ROE supérieur à 40 %, vérifie si l’entreprise présente l’une de ces caractéristiques.
Rendement du capital investi (Return On Invested Capital, ROIC)
Le rendement du capital investi est une méthode sophistiquée d’analyse du rendement du capital qui tient compte de certaines particularités du ROA et du ROE. Il est utile de savoir comment l’interpréter, car il s’agit d’une meilleure mesure de la rentabilité que le ROA et le ROE.
Essentiellement, le ROIC améliore le ROA et le ROE parce qu’il met sur un pied d’égalité le financement par emprunt et le financement par capitaux propres. Il élimine la distorsion liée à l’endettement qui peut faire paraître très rentables les entreprises fortement endettées lorsqu’on utilise le ROE. Il utilise également une définition des bénéfices différente de celle du ROE et du ROA, qui utilisent tous deux le résultat net. Le ROIC utilise les bénéfices d’exploitation après impôts, mais avant les dépenses d’intérêt. Encore une fois, l’objectif est de supprimer tout effet causé par les décisions de financement d’une entreprise – utilise-t-elle la dette ou les fonds propres ? – afin que nous puissions nous concentrer au maximum sur la rentabilité de l’activité principale.
Que signifie tout cela pour toi si tu entends quelqu’un parler de ROIC ? Tout simplement que tu dois interpréter le ROIC comme tu le ferais pour le ROA et le ROE. Un rendement du capital investi plus élevé est préférable à un rendement plus faible.
Calcul du ROIC
Attention, ce paragraphe s’approche dangereusement du territoire des geeks de la finance. Si la finance pure et dure t’endort, tu peux passer à la suite.
La véritable performance opérationnelle d’une entreprise est mieux mesurée par le rendement du capital investi (ROIC). Ce dernier mesure le rendement de tous les capitaux investis dans l’entreprise, quelle que soit la source de ces capitaux.
La formule du ROIC est d’une simplicité trompeuse :
$$ ROIC = \frac {Résultat \: Net \: d’Exploitation \: Après\:Impôt}{Capital \: Investi}$$
Le numérateur de cette équation est simple : les bénéfices après impôts, mais avant les dépenses d’intérêt (Net Operating Profit After Tax, NOPAT).
Le dénominateur est un peu plus délicat. Bien qu’il existe de nombreuses façons différentes de le calculer, tu t’en sortiras très bien si tu utilises cette version :
$$Capital \: Investi = Actif \: Total – Cash \: Excédentaire – Passifs \:Circulant\: ne\: portant \:pas\: intérêt.
$$
Cash excédentaire: ce sont les liquidités sur le compte de bilan dont on n’a pas besoin au quotidien pour faire tourner le business.
Passifs circulants ne portant pas intérêt: Ce sont le plus souvent les comptes fournisseurs, les charges courues et autres passifs circulants (tout ce qui n’est pas de la dette).
Tu peux également soustraire le goodwill s’il représente un pourcentage important des actifs et si l’entreprise n’acquiert pas continuellement d’autres entreprises.
Exemple de rentabilité du capital investi: Apple Inc.
Prenons un exemple. À la fin de l’exercice 2021, l’actif total d’Apple Inc. était de 351 milliards de dollars.
Soustrais le cash excédentaire, les comptes fournisseurs, les revenus non gagnés (c’est-à-dire l’argent reçu des clients pour des produits et services qui n’ont pas encore été livrés) et les autres dettes à court terme, et il reste 194,4 milliards de dollars, soit le capital investi d’Apple.
En examinant le compte de résultat de l’entreprise, nous constatons aussi que le résultat d’exploitation était de 118,3 milliards de dollars. Si l’on multiplie ce chiffre par le taux d’imposition effectif de 15,3 % d’Apple, on obtient une idée approximative de ce qu’auraient été les impôts sans aucun revenu d’intérêt ni aucune charge d’intérêt (les intérêts sont déductibles des impôts). Nous constatons que le résultat net d’exploitation après impôt est de 100,2 milliards de dollars.
Ensuite, divise le résultat net d’exploitation après impôt par le capital investi. Tu divises donc 100,2 milliards de dollars par 194,4 milliards de dollars, et le ROIC est de 51,5 %. Cela veut dire qu’un dollar investi dans les opérations d’Apple Inc rapporte 51.5 centimes. Rien d’étonnant à ce que l’entreprise connaisse un tel succès.
Apple (en millions de dollars) | 2021 |
---|---|
Actif Total | 351’002 |
Comptes Fournisseurs | 54’763 |
Revenu non gagné | 7’612 |
Autres passifs circulants | 45’965 |
Cash excédentaire | 48’231 |
Capital Investi | 194’431 |
Résultat d’exploitation | 118’329 |
Taux d’imposition effectif | 15.3% |
Résultat net d’exploitation après impôt | 100’224.6 |
Rendement sur capital investi | 51.5% |
Les facteurs du ROIC
Enfin, une dernière note. Comme pour le ROA, on pourrait décomposer le ROIC en deux, avec les marges et la rotation du capital. Il faut toutefois faire des ajustements. Pour le ROIC la marge n’est plus la marge nette, mais la marge d’exploitation après impôt. De même, pour la rotation du capital, on n’utilise plus la rotation des actifs, mais la rotation du capital investi. Pour reprendre l’exemple d’Apple, qui avait un chiffre d’affaire de 365.8 milliards de dollars en 2021:
Apple (en millions de dollars) | 2021 |
---|---|
Capital Investi | 194’431 |
Chiffre d’affaire | 365’817 |
Rotation du capital investi | 1.88 |
Résultat net d’exploitation après impôt | 100’224.6 |
Marge d’exploitation après impôt | 27.3% |
Rendement sur capital investi | 51.5% |
Conclusion
C’est tout pour aujourd’hui. On a vu que la rentabilité de l’entreprise est déterminante pour la croissance future de ses profits. Elle est aussi cruciale pour déterminer la quantité de cash que les actionnaires pourront retirer de la compagnie chaque année.
Pour mesurer la rentabilité du business, nous avons passé en revue trois ratios:
- Le rendement des actifs (ROA), qui mesure combien d’euros de profits sont générés par un euro d’actif.
- Le rendement des fonds propres (ROE), qui mesure combien d’euros de profits sont générés par un euro provenant de la poche des actionnaires.
- Le rendement du capital investi (ROIC), qui mesure combien d’euros de profits sont générés par le capital investi dans les activités de l’entreprise, indépendamment de comment celles-ci sont financées (les créanciers et les actionnaires sont mis sur un pied d’égalité).
Le ROA et ROIC sont déterminés par deux facteurs: les marges (combien de profits par euro de ventes) et la rotation du capital (combien de ventes par euro investi dans le business). Le ROE dépend aussi de ces facteurs et en plus de l’effet de levier généré par l’endettement de l’entreprise.
À la semaine prochaine pour une nouvelle édition!
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