Bienvenue dans cette neuvième édition d’Investi! Comment lire un rapport annuel? C’est avec cette question que nous lançons une nouvelle série basée sur l’analyse des compagnies:
- Le rapport annuel
- La croissance de la société
- La profitabilité de l’entreprise
- La solidité financière de la compagnie
Aujourd’hui, place donc à la première partie: comment lire un rapport annuel.
C’est parti!
Le rapport annuel
Le rapport annuel, qu’est-ce que c’est? C’est ce gros document imposant publié chaque année par les entreprises cotées en bourse pour annoncer à leurs actionnaires tout ce qui s’est passé dans la société au cours de l’année.
Il arrive souvent que ce rapport fasse plusieurs centaines de pages, ce qui peut facilement intimider. C’est d’autant plus dommage, car c’est un document indispensable pour comprendre l’entreprise et analyser son business.
Mais la bonne nouvelle, c’est que la plupart de ces rapports ont une structure similaire. Ils contiennent beaucoup de texte « standard », et il suffit donc de connaître à l’avance les sections importantes pour gagner beaucoup de temps.
C’est donc tout l’objet de l’édition d’aujourd’hui: savoir trouver un rapport annuel et savoir immédiatement quelles sections aller regarder en priorité.
En particulier, nous allons nous attarder comme d’habitude sur deux exemples: les rapports des entreprises américaines et des entreprises françaises.
En avant.
Le rapport annuel aux États-Unis
Mais d’abord, où trouver ces rapports? Aux États-Unis, la SEC (Securities and Exchange Commissions) supervise les entreprises cotées. Elles doivent donc lui soumettre régulièrement plusieurs types de documents – Ils ont tous un nom plus ou moins cryptique:
- Le 10K: c’est le rapport annuel, celui qui nous intéresse.
- Le 10Q: c’est le document publié tous les trois mois dans lequel la compagnie annonce les résultats trimestriels. Le 10Q n’est pas audité.
- Le « proxy », ou DEF14A : c’est le document envoyé chaque année par la compagnie aux actionnaires pour les inviter à l’assemblée générale. Il contient toutes les informations importantes pour l’assemblée, en particulier les mesures à voter telles que l’élection du conseil d’administration et de la rémunération de la direction.
- Le 8K : la compagnie publie un 8K à chaque fois qu’un évènement imprévu important pour les actionnaires se produit. Il informe le public d’événements tels que des acquisitions, une faillite, la démission d’administrateurs ou des changements dans l’exercice financier.
Nous nous intéressons donc particulièrement au formulaire 10K. Où se le procurer? Nous avons deux choix:
- Nous pouvons soit aller le récupérer sur le site des relations avec les investisseurs de la compagnie
- Ou alors nous pouvons aller le chercher directement sur le site de la SEC. C’est la voie que nous allons prendre ici.
Exemple de recherche sur le site de la SEC
Essayons d’aller chercher le rapport 10K d’Apple (symbole en bourse: AAPL). Le site de la SEC comporte une barre de recherche qui permet de chercher les rapports par compagnie.

Une fois la compagnie choisie, la SEC te fournit tous les documents disponibles pour cette société.

Dans cet exemple, la SEC nous propose les trois derniers rapports trimestriels (10Q), et le dernier 10K pour l’année 2021, publié le 29 octobre 2021. C’est ce dernier qui nous intéresse. Voyons voir comment il se présente.
La première chose qui saute aux yeux, c’est que le document est assez austère. En effet, la SEC interdit aux entreprises d’utiliser une mise en page qui viendrait « embellir » le rapport (et donc potentiellement influencer le lecteur). Ici on n’est intéressé que par les faits et pas des jolies photos.
Voyons voir la table des matières. J’ai entouré les sections particulièrement importantes et l’ordre dans lequel il vaut mieux les aborder.

1) Le business
La première section à passer en revue est la vue d’ensemble du business. La compagnie y décrit les produits et services qu’elle vend, ainsi que la structure de l’industrie. Grâce à cette partie, tu dois être capable de répondre à trois questions importantes:
- Quel est l’écosystème du marché? Qui sont les fournisseurs, les distributeurs et les partenaires de l’entreprise? Comment est divisé chaque dollar du marché entre chaque participant? Le but est de découvrir si un acteur de la chaîne de valeur capture la majorité des profits de l’industrie.
- Quel est le modèle d’affaire de la compagnie? Comment est-elle payée? Avec des abonnements? Des publicités? Des commissions?
- Quels sont les produits et services fournis par l’entreprise? A-t-elle une gamme de produits diversifiés, ou bien se concentre-t-elle sur un produit ou service particulier?
Les facteurs de risque
Une sous-section de la rubrique « business » est la section 1.A, concernant les facteurs de risques liés à l’entreprise. Tu y trouveras en général une liste longue comme le bras, car la direction de la compagnie veut absolument pouvoir se dédouaner en cas de problème (s’il existe un risque important non-mentionné, la société risque de se prendre un procès). Tu y trouveras donc plein de facteurs de risques plus ou moins pertinents.
À mon avis, il y a deux choses à prendre en compte dans les facteurs de risque. Premièrement, sur le long terme, le prix d’une action suit la trajectoire des profits de la compagnie. Identifie donc tous les facteurs qui pourraient causer un affaiblissement durable de la profitabilité de l’entreprise.
Deuxièmement, il faut faire attention aux facteurs de risques qui ont été ajoutés (i.e qui ne figuraient pas dans la liste l’année dernière). Pourquoi? S’il y a un changement dans la liste, c’est probablement que les avocats de la compagnie ont demandé de l’y ajouter et que c’est un risque pertinent. Si soudainement « cyber hack » est ajouté à la liste, il y a probablement eu une faille de sécurité récemment. De même, si la compagnie ajoute tout d’un coup un risque de responsabilité en matière d’amiante, il faut s’attendre à ce que les coûts liés à l’indemnisation des employés augmente sévèrement.
Un ajout de facteur de risque ne veut pas systématiquement dire qu’il y a anguille sous roche. Mais il faut quand même s’assurer que ce n’est pas le cas.
2) Discussion et Analyse de la part de la direction (Management Discussion and Analysis, MD&A)
Une fois le business compris, laissons place à la prochaine section importante du rapport: les commentaires de la direction quant à la performance du business sur la période. En particulier, il faut faire attention aux explications de la direction sur les points suivants:
- Tendance de la croissance du chiffre d’affaire. Si les ventes ralentissent, quelle est la raison?
- Quels sont les plans d’expansion à moyen terme? S’agit-il de vendre des produits plus haut de gamme? De faire une expansion géographique? De faire des partenariats? De créer des nouveaux produits ou services?
- Est-ce que la direction parle de l’avantage compétitif de la compagnie? Que fait-elle pour renforcer ce rempart compétitif?
- Est-ce que la direction discute des risques liés à l’exécution de la stratégie du business?
- S’il y a eu des changements quant à la gouvernance de l’entreprise, la direction la commentera sûrement dans cette section.
- Parfois, l’équipe de direction indiquera aussi des prévisions de résultats quant aux exercises futurs, basés sur les conditions anticipées du marché.
3) États financiers
Si tu as lu les précédentes éditions d’Investi, cette section n’aura pas beaucoup de secrets pour toi. Il s’agit bien sûr du compte de résultat, du compte de bilan et du tableau des flux de trésorerie. Les états financiers te donnent tous les détails nécessaires pour comprendre la performance de la compagnie sur la période, en plus de sa solidité financière (et ces analyses seront l’objet des prochaines parties de cette série sur l’analyse d’entreprise).
Juste après les états financiers, tu trouveras les notes explicatives liées à ces états financiers. « Notes » est un doux euphémisme car en général les explications fourmillent de détails. IL NE FAUT PAS SAUTER LES NOTES EXPLICATIVES. C’est souvent dans ces pages que la direction enterrera tous les détails qu’elle aimerait bien que tu négliges.
Les notes explicatives
Vérifie particulièrement les points suivants:
- Comment la compagnie enregistre son chiffre d’affaire: à quel moment une vente est considérée en tant que telle? Quand le produit a été livré et que le transfert de propriété est complété, ou bien l’entreprise prend-elle des raccourcis? En particulier, si la note quant à la reconnaissance des revenus mentionne une nouvelle méthode d’enregistrement plus avantageuse, c’est souvent signe de problème quant à la santé du business.
- Y a-t-il des engagements hors bilan? Il arrive que dans certains cas, l’entreprise soit contractuellement obligée de réaliser une performance et que les arcanes de la comptabilité autorise la direction à ne pas mentionner cet engagement au passif du compte de bilan. La société est toutefois obligée de mentionner ces engagements dans les notes explicatives.
- La compagnie est-elle actuellement engagée dans des démarches judiciaires? Doit-elle se défendre contre un procès? Si c’est le cas, combien peut-elle potentiellement perdre?
- Les notes explicatives contiennent également les détails des échéances des dettes contractées par la société. Si une grosse partie de ces dettes arrive bientôt à maturité, est-ce que la compagnie dispose de suffisamment de trésorerie pour y faire face?
- Enfin, en cas d’erreur dans des rapports annuels précédents, les notes explicatives contiendront aussi les corrections de ces erreurs d’une année sur l’autre. Si une erreur de bonne volonté peut arriver, vérifie quand même que les corrections ne sont pas à l’extrême opposé de ce que la direction a annoncé précédemment. En cas de grosse différence, c’est le moment de questionner l’intégrité ou la compétence de la direction…
4) Commentaires non-résolus du personnel (unresolved staff comments)
Cette section (numéro 1.B) est vide dans 99% des cas, ce qui est une bonne nouvelle.
Mais quand elle n’est pas vide, il faut que tu sois très vigilant. C’est là que la direction répond aux commentaires qu’elle a reçus de la SEC sur les rapports précédemment déposés. En gros, le régulateur a très probablement remis en question l’intégrité des rapports annuels précédents et la direction doit justifier de ces questions. De plus, si la section n’est pas vide, attends toi à ce que la formulation tende à minimiser les problèmes.
Voici à quoi doit ressembler une bonne section 1.B:

Voici une section 1.B très dangereuse:

La compagnie s’appelait Forrest Oil Corp. La formulation de la section met un accent positif sur le fait que les commentaires de la SEC datant d’avant le 30 juin 2011 sont résolus. Ce que tu dois comprendre, c’est que tout ceux soumis après cette date ne le sont pas! La compagnie a depuis fait faillite.
5. Compensation des dirigeants (Executive Compensation)
Cette section va détailler les plans de compensation pour le CEO, les membres du conseil d’administration et de certains cadres supérieurs importants.
Cette section est importante pour deux raisons. La première, c’est qu’un CEO va tout faire pour maximiser son bonus. Il est donc crucial de vérifier si les critères d’attribution de son bonus sont alignés avec les intérêts des actionnaires. Quelles sont les métriques qui déterminent le bonus de la direction? Est-ce qu’on peut manipuler ces métriques?
Par exemple, si la compensation du CEO est basée sur la croissance absolue du chiffre d’affaire, celui-ci s’efforcera à augmenter celui-ci, même si le résultat n’est pas celui attendu. Par exemple, il pourra endetter la compagnie pour racheter d’autres sociétés à un prix bien trop élevé, juste pour montrer une croissance du chiffre d’affaire… Il faut faire attention aux effets secondaires des critères de compensation.
Il faut également vérifier si la direction a un pouvoir d’action direct sur ces critères. Par exemple, si les critères d’attribution de bonus sont uniquement basés sur l’évolution du prix de l’action de la compagnie, le CEO n’a pas beaucoup de contrôle sur le prix à court terme de l’action (à court terme, c’est surtout le sentiment du marché qui détermine l’évolution du prix de l’action). Le CEO sera donc peu motivé pour se concentrer sur l’entreprise et aura même tendance à adopter un comportement purement promotionnel quant à l’action de la compagnie…
6. Structure de l’actionnariat (Security ownership of certain beneficial owners)
C’est ici que tu trouveras les principaux actionnaires de la société. Ici aussi il y a plusieurs points à vérifier.
Avant tout, tu recherches un alignement de la direction de la société avec les actionnaires. Il est donc important que le CEO et les membres du conseil d’administration possèdent une grosse proportion des actions de la compagnie. Idéalement, ils ont acheté eux-mêmes ces actions – elles n’ont pas été offertes dans le package de compensation. Dans la réalité, beaucoup de managers reçoivent une quantité importante de stock options ensuite converties en actions…
En tout cas, le point important est qu’un CEO dont le salaire est dix fois plus petit que la valeur de ses actions sera beaucoup plus aligné avec les intérêts des actionnaires que si ces proportions sont inversées…
Cette section mentionne aussi les achats personnels d’actions réalisés par l’équipe de direction. Si la direction achète beaucoup d’actions pour son compte personnel, ce n’est que pour une seule raison: les dirigeants pensent que le prix de l’action va augmenter…
C’est moins vrai pour le cas d’une vente d’actions de la part des dirigeants, qui peut arriver pour différentes raisons – il s’agit là d’appliquer du discernement. Cependant, si tu vois que le CEO se débarrasse de ses actions comme d’une patate chaude juste après l’introduction en bourse de la compagnie, c’est un signe clair et net qu’il faut décamper…
Voilà pour la vue d’ensemble de ce que tu pourras trouver dans un rapport 10K. Passons maintenant à la structure d’un rapport annuel d’une société française.
Rapport Annuel Français
En France, on appelle le rapport annuel aux actionnaires d’une entreprise cotée en bourse le document d’enregistrement universel. Tu trouveras par exemple le document d’enregistrement universel de la société Gaumont ici. L’Autorité des Marchés Financiers (AMF) régule les entreprises françaises, mais contrairement à la SEC tu ne peux pas rechercher directement les rapports annuels liés à une compagnie directement sur le site de l’AMF. Il faut donc aller récupérer le document d’enregistrement universel sur le site des relations avec les investisseurs d’entreprise.


À première vue, plusieurs choses frappent. Les entreprises européennes ont le droit de conserver leur identité visuelle lorsqu’elles publient leur rapport annuel, contrairement à leurs homologues américaines.
En conséquence, ces documents ont tendances à avoir beaucoup plus de pages (plus de 200 pages n’est pas rare). Mais c’est surtout parce qu’il y a beaucoup plus de photos et moins de texte par page.
Une structure de rapport annuel qui change peu
En revanche, la structure du contenu ne change pas énormément par rapport à un 10K américain. On retrouve, dans l’ordre:
- La présentation du groupe et de ses activités (équivalent de la section « business »)
- Les principaux risques et incertitudes liés au business (équivalent de la section « risk factors »)
- Les résultats consolidés et l’analyse de ces résultats (équivalent de la section MD&A)
- Les états financiers et leurs annexes
- Le gouvernement d’entreprise, y compris la rémunération des mandataires sociaux (c’est-à-dire la bonne vieille rémunération des dirigeants présents dans le 10K et le proxy)
- La structure de l’actionnariat (l’équivalent du »Security ownership of certain beneficial owners » dans le 10K)
Tu vois bien que la structure est très similaire! Si tu sais comment lire un 10K, tu ne devrais pas avoir de problèmes avec un document d’enregistrement universel. Les principes restent les mêmes, seule la présentation change.
Le rapport annuel dans les autres pays
Comme tu viens de le comprendre, la plupart des pays occidentaux ont des mécanismes et règlements similaires quant à la structure de leurs rapports annuels. Il y aura quelques variantes, mais si tu sais à quoi t’attendre, il n’y aura pas de surprise et tu sauras dans quelle section trouver l’information qui t’intéresse.
La seule grosse différence est souvent de savoir s’il existe un organisme centralisateur qui permet de récupérer les rapports pour chaque compagnie, où si tu dois aller directement sur le site de l’entreprise.
Au Canada, le site de la Sedar centralise tous les rapports annuels.
Au Royaume-Uni, le site du London Stock Exchange te permettra de retrouver de nombreuses communications avec les actionnaires provenant des compagnies listées grâce au RNS, le Regulatory News Service. Tu y trouveras les annonces de résultat, les annonces de dividendes, les mises à jours quant à la structure de l’actionnariat, etc. Cependant, pas toutes les compagnies ne publient leurs rapports annuels sur le site de London Stock Exchange. Par exemple, Games Workshop Group Plc le fait, tandis que Creighton’s Plc ne le publie pas. Il faut donc selon les cas aller directement sur le site de la société. Autre distinction du marché britannique, un plus gros développement des communications avec les actionnaires des petites sociétés. Il existe des sites – comme PIWorld – qui permettent aux petits porteurs d’assister par vidéo à la présentation des résultats par les dirigeants.
En Allemagne, c’est la BaFIN qui régule les compagnies listées, tandis qu’en Suisse c’est la FINMA. Mais ces organisations ne centralisent pas les rapports annuels, il faut donc aller les chercher sur le site des entreprises concernées.
Conclusion
C’est tout pour aujourd’hui. Tu as pu voir où récupérer les rapports annuels nécessaires pour analyser une compagnie, ainsi que les différentes sections présentes dans un rapport. J’ai volontairement laissé de côté l’analyse des états financiers – en particulier l’analyse de la croissance, de la profitabilité et de la santé financière de l’entreprise. Nous aborderons ces thèmes dans les prochaines éditions.
En attendant, à la semaine prochaine!
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