« Tu peux choisir les jeux auxquels tu joues, mais tu ne peux pas changer leurs règles. »
Luca Dellanna.
Nombreux sont les participants sur les marchés boursiers. Un day trader va parier sur le cours d’une action à la hausse ou à la baisse sur une journée. Les investisseurs dans les fonds indiciels achètent un panier diversifié d’actions et les conservent sur le long terme. Les investisseurs dans la valeur essaient d’acquérir des compagnies à des prix décotés par rapport aux actifs qu’elles possèdent.
Mais ça ne s’arrête pas là. Deux acteurs peuvent prendre des décisions complètement opposées, mais motivées par des raisons complètement valables. Marie achète des actions de la compagnie A parce qu’elle pense que l’entreprise va prospérer à l’avenir. Henri vend les actions de la même compagnie parce qu’il veut financer le mariage de sa fille.
Tu l’as compris, on retrouve des profils complètement différents et des horizons temporels très variés.
Chacun semble jouer à son propre jeu avec ses propres règles.
Et pourtant, tous les participants sont présents sur les marchés pour gagner de l’argent. S’ils ont tous un comportement différent mais espèrent aussi générer des bénéfices, à quel genre de jeu jouent-ils? D’où viennent les gains et les pertes en Bourse? Quels sont les facteurs qui décident du succès ou de l’échec d’un investissement? Connais-tu les règles du jeu?
Ces questions sont super importantes. Suivant ton horizon temporel et tes objectifs, les facteurs qui détermineront ton succès seront totalement différents d’un profil à l’autre. Tu dois donc aligner ta stratégie d’investissement avec les éléments essentiels pour ton succès.
D’où proviennent les gains en Bourse?
Sur les marchés boursiers, tes gains sur les marchés de la bourse viendront de deux principales sources:
- Les gains en capital, ou plus-values: c’est ce qui arrive quand tu vends une action à un prix plus élevé que tu l’as achetée. Si tu la revends à un prix plus bas que ton prix d’achat, tu perds donc de l’argent.
- Les dividendes: ton action représente un titre de co-propriété sur une entreprise. L’entreprise réalise des bénéfices et décide d’en reverser une partie aux actionnaires.
Très bien, mais les dividendes et les plus-values (ou moins-values) sont des conséquences. Quelles en sont les causes? Pourquoi certains participants font des plus-values quand d’autres perdent de l’argent?
Suivons le guide.
Les plus-values
On va commencer avec les gains en capital. Tu verras que le raisonnement avec les dividendes est assez similaire.
Comme dit plus haut, tu réalises une plus-value quand tu as vendu ton action à un prix plus élevé que tu l’as achetée. Ok, mais pourquoi le prix d’une action change au fil du temps?
Un économiste te dira que le prix évolue en fonction de l’offre et de la demande. Lorsqu’il y a plus de demande que d’offre, le prix augmente et quand l’offre est supérieure à la demande, le prix baisse.
C’est absolument correct, mais ça ne nous fait pas beaucoup avancer. Pourquoi l’offre et la demande pour une action donnée évoluent-elles au fil du temps?
Regardons-y de plus près.
Un modèle de rendement
(Note: la partie qui va suivre comporte un peu de formules mathématiques. Je ne compte pas en utiliser souvent sur Investi – en premier lieu parce que je pense qu’il vaut mieux avoir à peu près raison que très précisément tort. Néanmoins, je pense que les principes expliqués dans cette édition sont super importants et je préfère que tu puisses comprendre d’où je vais tirer mes conclusions. Si tu es complètement allergique aux maths, tu peux sauter cette section et passer directement aux conclusions…)
Disons que tu achètes une action à un prix P1, que tu la gardes en portefeuille pendant T années et que tu la revends ensuite à un prix P2.
Tes gains, exprimés en pourcentages, seront égaux à
$$
Gains = (\frac{P_2}{P_1}) -1
$$
Par exemple, si tu achètes une action Apple à 100$ et que tu la revends 5 ans plus tard à 180$, tes gains seront de:
$$
Gains = (\frac{180}{100}) -1 = 0.8 = 80 \%
$$
Tu as donc une plus-value de 80%. Si au contraire tu revends à 50$, tu feras une perte de 50%.
Le rendement annuel de ton investissement quant à ta plus value s’exprime sous la forme:
$$
Rendement \, Annuel = (\frac{P_2}{P_1})^{\frac{1}{T}} -1
$$
Dans le cas de notre action Apple achetée à 100$ et revendue cinq ans plus tard à 180$, ça donne:
$$
Rendement \, Annuel = (\frac{180}{100})^{\frac{1}{5}} -1 \approx 1.125 -1 \approx 12.5 \%
$$
L’investissement a donc rapporté (hors dividendes) à peu près 12.5% par an. Jusque là tout va bien. Mais on peut pousser l’analyse un peu plus loin. Qu’est ce qui se cache derrière le prix d’une action?
N’oublions pas qu’une action est un titre de co-propriété sur une compagnie. Les actionnaires sont donc les propriétaires des futurs bénéfices de l’entreprise.
On peut diviser le prix d’une action en deux facteurs:
$$
Prix = Bénéfice \, Net \, par\, Action * Multiple \, de \,marché
$$
Le bénéfice net par action
Le bénéfice net par action est tout simplement le bénéfice net de la compagnie, divisé par le nombre d’actions en circulation. Par exemple, en 2021, Apple a réalisé 94,68 milliards de dollars de bénéfices. Comme Apple a 16.86 milliards d’actions en circulation, le bénéfice net par action est donc de 94.68/16.86 = 5.61 dollars. Comme être actionnaire, c’est être co-propriétaire de l’entreprise, l’actionnaire d’une action Apple est donc propriétaire de 5.61$ de bénéfices réalisés en 2021. Attention, la direction de l’entreprise ne va pas forcément distribuer ces profits aux actionnaires (par exemple, sous forme de dividendes ou de rachat d’actions). Elle les garde au contraire très souvent au sein de l’entreprise pour les réinvestir. Mais ça ne change pas le fait que l’actionnaire est propriétaire de ces bénéfices.
Le multiple de marché
Aussi appelé PER (pour Price/Earnings Ratio), c’est le montant que le marché est actuellement prêt à payer pour les bénéfices de l’entreprise. Actuellement, le prix de l’action Apple se négocie à 131.56$ par action. Nous avons déjà dit qu’en 2021 la société avait réalisé 5.61$ de bénéfices nets par action. Pour devenir propriétaire d’Apple, le marché est donc prêt à payer un multiple des bénéfices égal à 131.56/5.61 = 17.82.
Il y a beaucoup de facteurs qui déterminent le multiple que le marché est prêt à payer pour les bénéfices d’une compagnie.
Certains de ces facteurs sont rationnels. Plus le business a un rendement élevé sur son capital investi, plus haut sera le multiple. Plus les estimations de la croissance future des bénéfices sont élevées, plus haut sera le multiple.
D’autres facteurs sont purement comportementaux. Le marché peut être excessivement optimiste ou pessimiste. Dans ce cas l’effet de foule prend le dessus sur les fondamentaux économiques.
À titre de référence, historiquement aux États-Unis le marché a attribué en moyenne un multiple de 15.54 aux bénéfices du S&P500 – un indice constitué des 500 plus grosses compagnies américaines.
Retour au rendement
Nous disions donc que tu peux décomposer le prix d’une action en deux facteurs: les bénéfices nets par action et le multiple de marché.
Donc si tu achètes une action à un prix P1 et que tu revends à un prix P2, tu peux écrire:
$$
P_1 = Bnpa_1 * M_1 , \, P_2 = Bnpa_2 * M_2
$$
où:
- Bnpa1 représente les bénéfices nets par action lors de l’achat
- Bnpa2 représente les bénéfices nets par action lors de la vente
- M1 est le multiple de marché lors de l’achat
- M2 est le multiple de marché lors de la vente
On peut alors ré-écrire notre formule de rendement sous la forme:
$$
Rendement \, Annuel = (\frac{Bnpa_2 * M_2}{Bnpa_1 * M_1})^{\frac{1}{T}} -1
$$
Maintenant, disons que les bénéfices nets par action de la compagnie augmentent annuellement d’un taux de croissance que nous nommerons g. (g peut être négatif si la compagnie est sur le déclin.)
Cela veut dire que sur la période de détention de l’action, les bénéfices nets par action de la compagnie
vont croitre T fois de g. En d’autres termes,
$$
Bnpa_2 = Bnpa_1* (1+g)^T
$$
Nous avons donc, en remplaçant Bnpa2 dans l’équation du rendement:
$$
Rendement \, Annuel = (\frac{Bnpa_1 *(1 +g)^{T} * M_2} {Bnpa_1 * M_1})^{\frac{1}{T}} -1
$$
Nous pouvons simplifier au numérateur et dénominateur par Bnpa1, et nous avons donc:
$$
Rendement \, Annuel = (\frac{(1 +g)^{T} * M_2} { M_1})^{\frac{1}{T}} -1
$$
et finalement:
$$
Rendement \, Annuel
= \frac{(1 + g)} { (\frac{M_1}{M_2})^{\frac{1}{T}} }-1
$$
C’est bon, j’ai fini de t’embêter avec des formules.
Ça n’a l’air de rien, mais on vient juste de montrer que tes plus-values ne vont dépendre que de quatre paramètres:
- La période de détention
- La croissance annuelle moyenne des bénéfices par action sur la période de détention
- Le multiple des bénéfices que le marché est prêt à payer lors de l’achat
- Le multiple des bénéfice que le marché est prêt à payer lors de la vente
Note en particulier que nulle part ne figure le niveau des bénéfices actuels!
Toutes les stratégies d’investissement impliquent une ou plusieurs de ces variables.
Par exemple:
- Les investisseurs dans des fonds indiciels de long terme tels que le S&P500 font le pari qu’un panier constitué des plus grandes entreprises mondiales fera beaucoup plus de bénéfices dans un avenir lointain (vingt ans, trente ans ou plus) qu’il ne l’est actuellement.
- Les investisseurs dans la valeur (dans la tradition de Benjamin Graham) se soucient peu de la croissance de l’entreprise. Ils veulent acheter à un multiple d’entrée très bas, en pariant que ce multiple retournera à une moyenne plus raisonnable d’ici deux ou trois ans.
- Les investisseurs activistes veulent influencer la gestion d’une entreprise médiocre avec des marges d’amélioration. Après la mise en œuvre de nouvelles mesures, la rentabilité s’améliore (g amélioré) et le marché récompense la compagnie par un multiple plus élevé.
- L’investisseur dans une compagnie issue d’une compagnie mère (un spin-off) profite souvent du fait que les institutions soient forcées de vendre le spin-off. Les raisons pour ces ventes forcées ne sont pas l’objet de ce billet, mais la conséquence est qu’un investisseur peut acheter le spin-off à un multiple d’entrée artificiellement bas. Au cours de la période qui suit le détachement du spin-off, le multiple de marché tend à se recalibrer à des niveaux plus élevés, et l’investisseur profite de l’expansion du multiple.
- Les spéculateurs dans les meme stocks (par exemple, Gamestop et AMC en 2021) utilisent la psychologie des foules pour parier que le multiple de vente sera beaucoup plus élevé que le multiple d’achat (indépendamment de la performance réelle du business). Et cela, même si le multiple d’achat est déjà ahurissant. Les anglophones ont un terme pour cela, la Greater Fool Theory, c’est-à-dire la théorie du plus idiot – pour faire des profits, tu dois revendre à quelqu’un de plus stupide que toi…
Notes sur le modèle
Il est important de noter que ce modèle fait des simplifications. En particulier:
- il ne tient pas compte de comment la croissance des bénéfices est financée. Si le business est auto-financé, aucun problème. Si la future croissance n’est possible qu’avec des fonds externes, il y a deux alternatives. Soit l’entreprise va devoir lever des nouveaux fonds propres (ce qui se traduira en une dilution des actionnaires existants et donc une baisse des bénéfices par action). Soit l’entreprise devra s’endetter. Suivant le degré d’endettement, la santé du business peut devenir particulièrement fragile et même une compagnie générant une croissance des bénéfices peut faire faillite au moindre faux-pas…
- Certaines compagnies ne font pas (encore) de bénéfice, mais espèrent en faire à l’avenir. Le modèle ne fonctionne évidemment pas dans ce cas là, mais on peut remplacer les bénéfices par la valeur des fonds propres (et leurs multiples)… J’ai aussi vu certains utiliser la croissance du chiffre d’affaire, mais ça a le désavantage de laisser beaucoup plus de marge pour trafiquer les estimations…
Deux cas importants: les investisseurs de long terme et de court terme
Maintenant, regardons ce qui se passe pour deux horizons d’investissement très différents…
Investissement à long terme
Sur le long terme, T devient devient conséquent et le facteur lié aux multiples de marché se rapproche de plus en plus de 1:
$$
(\frac{M_1}{M_2})^{\frac{1}{T}} \approx 1
$$
Ce qui veut dire que le rendement converge vers la croissance annuelle des bénéfices:
$$
Rendement \, Annuel
= \frac{(1 + g)} { (\frac{M_1}{M_2})^{\frac{1}{T}} }-1 \approx (1 + g)-1 \approx g
$$
C’est un résultat hyper important. Si tu es un investisseur sur le long terme (avec un horizon de plus de cinq ans et idéalement plus de dix ans), le facteur qui déterminera la majorité de tes résultats sera le taux de croissance des bénéfices par action. Même si tu es malchanceux et que tu as acheté quand le marché était optimiste (multiple élevé) et revendu quand le marché était pessimiste (multiple déprimé), la trajectoire de ton investissement ne diffèrera pas beaucoup de la trajectoire des profits de la compagnie.
Le long terme d’après Charlie Munger:
« Sur le long terme, il est difficile pour une action d’obtenir un rendement bien meilleur que celui de son entreprise. Si l’entreprise gagne six pour cent sur le capital sur quarante ans et que vous la conservez pendant ces quarante ans, vous ne ferez pas beaucoup plus qu’un rendement de six pour cent, même si vous l’avez achetée à un prix très bas. À l’inverse, si une entreprise rapporte dix-huit pour cent de son capital sur vingt ou trente ans, même si vous l’achetez à un prix élevé, vous obtiendrez un sacré résultat »
Charlie Munger
(Munger fait la simplification que tous les bénéfices sont réinvestis dans le business. Dans ce cas là, la croissance des bénéfices futurs est égale au rendement sur capital de la compagnie. Si j’ai 10 euros de bénéfices aujourd’hui, que je les réinvestis entièrement dans l’entreprise et qu’elle a un rendement sur capital de six pour cent, j’aurai 10.6 euros de bénéfices l’an prochain, soit une croissance de 6 pour cent par an).
Si tu veux vérifier par toi-même, j’ai compilé une table de différents horizons temporels et différents scénarios de contraction (ou d’expansion) des multiples du marché. J’ai créé une table pour un premier business dont les profits croissent de dix-huit pour cent par an, et une autre pour une compagnie augmentant ses bénéfices de six pour cent par an.
Rendement annuel – Un business générant 18% par an :
Horizon de placement (années) | ||||
---|---|---|---|---|
(M1/M2) | 3 | 5 | 10 | 30 |
0.3 | 76.27% | 50.13% | 33.10% | 22.83% |
0.5 | 48.67% | 35.55% | 26.47% | 20.76% |
0.7 | 32.90% | 26.73% | 22.28% | 19.41% |
0.8 | 27.11% | 23.39% | 20.66% | 18.88% |
1 | 18.00% | 18.00% | 18.00% | 18.00% |
1.5 | 3.08% | 8.81% | 13.31% | 16.42% |
2 | -6.34% | 2.72% | 10.10% | 15.30% |
3 | -18.18% | -5.28% | 5.72% | 13.76% |
4 | -25.66% | -10.57% | 2.72% | 12.67% |
5 | -30.99% | -14.48% | 0.46% | 11.84% |
Rendement annuel – Un business générant 6% par an :
Horizon de placement (années) | ||||
---|---|---|---|---|
(M1/M2) | 3 | 5 | 10 | 30 |
0.3 | 58.34% | 34.86% | 19.56% | 10.34% |
0.5 | 33.55% | 21.76% | 13.61% | 8.48% |
0.7 | 19.38% | 13.84% | 9.85% | 7.27% |
0.8 | 14.19% | 10.84% | 8.39% | 6.79% |
1 | 6.00% | 6.00% | 6.00% | 6.00% |
1.5 | -7.40% | -2.26% | 1.79% | 4.58% |
2 | -15.87% | -7.72% | -1.10% | 3.58% |
3 | -26.50% | -14.91% | -5.03% | 2.19% |
4 | -33.22% | -19.67% | -7.72% | 1.21% |
5 | -38.01% | -23.17% | -9.76% | 0.46% |
Dans les deux tableaux, la première colonne présente différents scénarios d’évolution des multiples de bénéfices dans le temps. Lorsque M1/M2 est supérieur à 1, l’action bénéficiera d’une expansion du multiple au cours de la période de détention. Au contraire, lorsque M1/M2 est inférieur à 1, l’action souffrira d’une contraction du multiple (par exemple, en cas de krach boursier).
Les quatre colonnes suivantes résument les rendements annuels moyens qu’un investisseur dans ces sociétés obtiendrait s’il conservait leurs actions pendant 3, 5, 10 et 30 ans.
Par exemple, dans le premier tableau, on peut lire que si un investisseur conserve les actions de l’entreprise à 18% pendant 30 ans et qu’entre-temps le marché se divise en deux (M1/M2 = 2), il bénéficiera d’un rendement annuel de 15,30% par an au cours des 30 prochaines années.
Attention à ne pas non plus pousser ce raisonnement à l’extrême. Il y a toujours un prix à partir duquel le meilleur des businesses est trop cher pour être qualifié d’investissement. Si tu achètes une compagnie pour un multiple des bénéfices annuels très élevé (par exemple, plus de 100 fois ses bénéfices annuels), tu vas probabalement perdre beaucoup d’argent car il faudra une croissance vraiment massive des bénéfices pour te sortir de là.
La qualité l’emporte sur le long terme
Il devient évident que sur un horizon à court terme (inférieur à trois ans), la plupart des rendements proviennent de l’évolution du sentiment du marché. Par exemple, dans le deuxième tableau où l’entreprise génère 6% par an, la qualité médiocre de l’entreprise ne compte pas du tout dans la première colonne. Si le marché décide soudainement de tripler le multiple de l’entreprise au cours des trois prochaines années (première ligne, première colonne), les investisseurs bénéficieront d’un rendement annuel incroyable de 58,34 % par an sur ces trois années.
Mais lorsque les périodes de détention s’allongent, la qualité de l’entreprise prend le dessus. Sur trente ans, les rendements des investisseurs suivront de près la rentabilité sous-jacente de l’entreprise. Même si les multiples de bénéfices triplent, un investissement dans l’entreprise à 6% ne rapportera que 10,34% par an.
À mesure que ton horizon temporel augmente, le rendement de tes investissements devient complètement dépendant de la qualité de l’entreprise.
Un exemple clé: Berkshire Hathaway
Il n’y a pas de meilleur exemple pour illustrer ce phénomène que Berkshire Hathaway, le conglomérat de Warren Buffett et Charlie Munger. Quand Buffett prit le contrôle de Berkshire en 1966, la compagnie était en difficulté. L’action se négociait à 24$ sur les marchés et les bénéfices nets par action étaient de 2.71$ (ce qui implique un multiple de marché de 8.86 en 1966). Fin 2015, grâce à une croissance phénoménale des profits et à la gestion remarquable de Buffett et Munger, l’action se négociait à 199’451$ pièce, et les bénéfices par action étaient de 14’657$ (pour un multiple de 13.6).
Un actionnaire qui aurait gardé comme Buffett ses actions sur tout la période aurait multiplié son investissement initial par 8’310. C’est un rendement annuel de 20.2% sur la période de 49 ans. Les bénéfices par action, eux, ont augmenté de 19.1% par an sur la même période. La plupart des gains que Buffett a réalisé en bourse viennent de la croissance des bénéfices et une toute petite partie de l’expansion du multiple de marché sur la période (de 8.86 à 13.6).
Même si Buffett avait été malheureux dans son timing du marché, cela n’aurait pas changé grand chose. Imaginons qu’il ait acheté à un multiple de 20 en 1966 et qu’en 2015 le multiple ne soit plus que de 8.
Sur les 49 années, grâce à une croissance annuelle des profits de 19.1% par an, le rendement annuel de Berkshire serait toujours de 16.9%. Buffett aurait multiplié son investissement initial par 2’097. C’est certes un résultat inférieur à ce qui s’est passé en réalité, mais c’est toujours absolument remarquable…
Sur le long terme, le prix de l’action suit les profits de l’entreprise.
Investissement à court-terme
Revenons à notre modèle de rendement et regardons ce qui se passe quand la période de détention devient très faible. Sur des périodes courtes, les bénéfices de la compagnie ne vont pas beaucoup varier. Si l’action est par exemple détenue sur seulement une journée, on peut considérer les profits constants. Le rendement de l’investissement est alors entièrement dépendant de l’évolution du multiple de marché:
$$
Rendement
= \frac{(1 + g)} { (\frac{M_1}{M_2})^{\frac{1}{T}} }-1 \approx \frac{M_2}{M_1}-1
$$
C’est pour cela qu’un day trader se fiche complètement de la qualité du business. Ce qui compte pour ses gains en bourse est d’interpréter correctement la psychologie du marché, qui va énormément fluctuer sur le court terme. Pour lui, une action n’est qu’un symbole dont le prix monte et descend selon certains schémas au fil du temps. Le plus important est de pouvoir lire correctement la psychologie du marché, ce qui n’est pas une mince affaire… Je dois avouer que je n’ai absolument aucune expérience ni expertise dans ce style d’investissement, mais je voulais le mentionner dans un souci d’exhaustivité.
Les dividendes
La deuxième source de revenus pour les investisseurs sont les dividendes, c’est-à-dire la distribution régulière d’une partie des bénéfices réalisés par l’entreprise.
Je ne vais pas ressortir de formule ici, mais le cheminement intellectuel est le même. Quand tu achètes une action qui verse des dividendes, deux facteurs vont être déterminants:
- Le prix d’achat de l’action
- L’évolution des bénéfices (et donc des dividendes) au fil du temps.
À court terme, acheter une action avec un fort rendement sur dividende peut être alléchant sur le papier. Le ratio souvent utilisé s’appelle le rendement sur dividende, ou dividend yield en anglais. C’est tout simplement le montant du dividende annuel divisé par le prix d’achat. Si une action verse actuellement un dividende annuel de 2 euros et que le prix de l’action est de 100 euros, son rendement sur dividende actuel est de 2/100 = 2%.
De même qu’avec les plus- ou moins-values, les facteurs décisifs pour tes gains en bourse vont dépendre de l’horizon temporel du placement. À court terme, l’investisseur ne recevra que peu de dividendes (disons, de 0 à trois dividendes annuels). Le prix d’achat est donc le facteur le plus important et le rendement sur dividende le facteur à scruter en priorité. Notons toutefois qu’un rendement sur dividende élevé peut aussi s’accompagner d’une baisse du prix de l’action, ce qui ne rend pas l’investissement très intéressant…
À long terme, les dividendes suivent la trajectoire des bénéfices de l’entreprise. Plus les bénéfices croissent, plus les montants de dividendes deviennent importants. Le rendement sur dividende initial devient alors de moins en moins pertinent car il représente de moins en moins la situation actuelle de l’investisseur. Ici encore, l’investisseur sera mieux servi par une compagnie capable d’augmenter ses bénéfices chaque année. L’objet de son attention sera, en quelque sorte, la destination de l’entreprise.
Conclusion
Tu as compris que les participants aux marchés boursiers ne jouent pas tous au même jeu. L’objectif final est certes toujours de gagner de l’argent, mais l’horizon de placement va changer complètement les règles du jeu.
La question la plus importante à laquelle tu te dois de répondre est donc: quel est ton horizon de placement? C’est seulement après avoir répondu à cette question que tu pourras savoir d’où vont venir tes gains en bourse. Et seulement après que tu pourras établir une stratégie d’investissement.
Placement à long terme
Si tu comptes placer ton argent à long terme (plus de cinq ans, idéalement plus de dix ans), la majorité de tes gains proviendra de la croissance des bénéfices par action des companies dans lesquelles tu investis. Les règles du jeu sont donc de trouver des compagnies rentables, avec un fort potentiel de croissance, avec de grosses barrières à l’entrée et dont la croissance peut être en grande partie auto-financée. Si tu investis dans des fonds indiciels (comme par exemple un fond tracker sur le S&P500), tu te dois d’estimer si les compagnies dans l’index seront beaucoup plus profitable à l’avenir qu’elles ne le sont maintenant.
Placement à court terme
Si ton horizon est à court terme, la trajectoire des bénéfices de l’entreprise importe peu. « Court terme » implique pas mal de cas. Ça va du day trader qui ne va garder une position qu’une seule journée à l’investisseur qui renouvelle son portefeuille tous les deux ans. Dans ce cas-là, c’est l’état d’esprit du marché qui va déterminer la majorité de tes gains. Le day trader va essayer de lire les patterns de volume, d’offre et de demande de l’action pour déterminer la direction du cours de l’action dans la journée.
L’investisseur dans la valeur achetant des actifs décotés profite d’un prix absolument déprimé et espère que le marché va se rendre compte que la situation n’est pas aussi malsaine qu’elle n’en a l’air. Ici la qualité et les bénéfices de l’entreprise changent peu sur la période considérée – le facteur principal est que le marché doit ré-évaluer sa perception de l’action pour que l’investissement porte ses fruits.
Placement à moyen terme
Enfin, si ton horizon de placement est à moyen terme (« moyen terme » étant vaguement défini comme entre trois et cinq ans), tu as choisi un jeu particulièrement difficile. C’est un jeu ou les deux facteurs sont importants: tu dois avoir raison sur l’estimation des profits futurs du business ET ne pas te tromper sur le multiple auquel tu achètes ton business. Ça fait deux fois plus d’occasions de se tromper!
Accessoirement, c’est aussi l’horizon d’investissement de la plupart des fonds de gestion (pour des raisons qui ne font pas l’objet de cette édition, la durée moyenne pendant laquelle les clients de fonds d’investissements investissent dans un fonds particulier tourne autour de trois ans. C’est donc un horizon où les institutions ont beaucoup intérêt à bien avoir une bonne performance, et où l’investisseur lambda aura énormément de compétition).
C’est tout pour aujourd’hui!
Si tu ne dois retenir qu’une seule chose de cette édition, c’est que plus tu investis sur le long-terme, plus tu dois te concentrer sur les bénéfices futurs des compagnies dans lesquelles tu investis. Au contraire, plus tu investis sur le court-terme, plus tu auras besoin d’une lecture fine de la psychologie des marchés. Choisis correctement le jeu auquel tu joues!
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